Identité culturelle des pasteurs peuls

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Identité culturelle des pasteurs peuls : de quoi parle -t-on ?

L’élevage pastoral est menacé du fait de son caractère extensif, se limitant au seuil d’effort de la taille humaine, donc non productiviste. Il est primordial de comprendre que l’élevage pastoral n’est pas un élevage de consommation ni de marché. La colonisation puis la mondialisation à travers le développement de nos jours, tend à vouloir le  lui imposer ce qui contribue à sa destruction. Nous militons depuis des siècles pour le respect de la vie animal et de la biodiversité.

Saisir l’identité culturelle des pasteurs peuls est un atout pour la cohésion sociale

Au Sahel, l’élevage, en tant que principale activité des pasteurs peuls, repose essentiellement sur l’exploitation extensive des pâturages naturels, seule source de fourrage pour le bétail. Cependant, la forte pression démographique des cultivateurs ont entraîné leur expansion sur les espaces pastoraux.

Cette situation se traduit par l’occupation des couloirs de passage, des aires de pâturage et des abords des points d’eau par les cultivateurs et leur culture. Il en résulte une rareté des ressources pour les éleveurs pasteurs donnant lieu à de multiples conflits. Ces conflits sont de plus en plus fréquents et souvent mortels.

L’identité des éleveurs peuls comme miroir de la communauté

Qu’est-ce que l’identité d’un individu, qu’est-ce que l’identité sociale et/ou culturelle d’un groupe, sont-ils les mêmes ? Telles sont les questions que l’on se doit se poser pour parler de l’identité chez les pasteurs peuls.

Les rapports interethniques sont essentiels pour les pasteurs peuls. Ils ont besoin du monde extérieur. En tant que groupe mobile, ils doivent négocier avec les populations sédentaires l’accès aux pâturages et aux points d’eau nécessaires à l’élevage.

Comment se construit l’identité, notamment celle des pasteurs peuls ?

Comme vu précédemment, l’identité équivaut à la relation qu’on construit avec son environnement au sens très large. L’environnement ne se limite pas au milieu naturel. Il comprend tout élément faisant partie de l’entourage : les humains d’abord, puis les paroles, les idées et les représentations transmises par ces paroles.

Bien entendu, l’environnement inclut aussi le milieu naturel (la brousse), avec ses accidents géographiques, ses plantes et ses animaux, et le surnaturel qui s’y attache quelquefois. L’identité n’est donc pas une qualité statique, mais un processus dynamique.

Selon la situation, les pasteurs peuls peuvent conserver leur propre identité ou s’intégrer plus ou moins dans un autre groupe. Ainsi donc l’identité des pasteurs peuls découle-t-elle à la fois d’un mode de vie qui leur est commun (l’élevage) et des projections que les autres font sur eux.

La formation de leur identité est comme on l’a déjà dit, le résultat d’interaction entre les différents groupes, et souvent cette identité renferme des éléments des cultures environnantes.

La question des pasteurs peuls est liée à la perception de leur identité

Les sécheresses des années 80 dans le Sahel, ayant frappé les populations de toute cette région, ont surtout appauvri les pasteurs peuls, semi-nomades ou transhumants. Ils ont perdu plus des trois quarts de leurs troupeaux et à ce jour ils n’ont toujours pas pu reconstituer leur cheptel.

Les éleveurs peuls se trouvent dans une société en crise. Beaucoup d’entre eux ont émigré vers d’autres pays plus au sud. Ceux qui ne migrent pas, sont souvent confrontés à une véritable crise existentielle. Ils sont obligés d’abandonner leur mode de vie de pasteurs semi-nomades et se sédentarisent.

Parce que l’identité est avant tout relationnelle, elle est sujette à changement quand les circonstances modifient le rapport au monde. Cela signifie qu’elle n’est pas donnée une fois pour toute ; elle est plutôt construite.

L’identité  culturelle des pasteurs peuls ? Quel est son reflet ?

La mise en scène des valeurs de la Pulaaku à travers l’épopée

Depuis l’Antiquité les rituels ont toujours constitué une forme de communication publique, un miroir dans lequel se mire la société dans son ensemble. En mettant en scène les valeurs d’une société, et en les ritualisant, elles contribuent à maintenir la cohésion du groupe.

Il est essentiel se servir « de ce miroir dans lequel se mire » la société peule pour chercher à comprendre la manière dont l’éloquence des griots (bardes) met en scène le respect des coutumes héritée des Anciens. L’éducation, la bonne conduite en société, correspondent à une tradition dont la dimension sociale implique la communauté tout entière.

Tous les groupes peuls partagent l’idéologie qui met en avant les valeurs pastorales, et place les éleveurs pasteurs au-dessus des autres groupes sociaux. La performance orale du griot est un genre qui exalte le récit. En d’autres termes, l’évocation des héros représentatifs des vertus de la pulaaku crée chez l’auditoire un sentiment identitaire.

C’est à travers l’épopée, porteuse d’un patrimoine culturel et historique que s’ancre l’identité peule. L’épopée exaltant les vertus des héros peuls de l’histoire, produit une charge émotionnelle immense qui permet de souder le groupe autour des vertus de ses héros.

Sans doute est-il important d’observer que la conscience sociale dispersée dans la vie quotidienne tend à se recomposer. Elle forme un tout organique au cours de la commémoration de héros disparus, représentatifs de l’idéologie fondatrice de la pulaaku.

Autrement dit, la théâtralisation du système des vertus communautaires autour de la manière d’être des Peuls  entraîne l’adhésion grâce à la dramatisation. La pulaaku est un code social, qui désigne la manière d’être idéal sur le plan philosophique.

En focalisant l’attention de l’auditoire sur le héros, qui illustre les vertus cardinales, le griot fait référence à des données culturelles symbolisant l’identité peule. Celles-ci appellent l’auditoire à vivre et à assumer cette identité au sein de la communauté ethnique.

Ainsi, cette civilisation morale prône la bonne conduite en société c’est-à-dire le respect de soi d’abord, des autres ensuite et enfin de toute la société. Le griot met en scène des récits pour réveiller l’identité culturelle et pour susciter l’exaltation des valeurs morales dans l’unité de ses membres.

Les saltiguis, pasteurs des peuples : un modèle épique

Les saltiguis, « pasteurs des peuples » à l’instar de tous les hommes sacrés anciens ont un don de prophétisme et leur vaillance au combat les avaient placés à l’avant-garde des peuples lors des diverses migrations historiques anciennes.

Pendant les périodes de troubles et celles des crises économiques, sociales engendrées par les sécheresses, et les divers conflits, ces hommes sacrés traditionnels avaient des fonctions, qu’ils ont continué à  conserver, dans les sociétés pastorales.

Ces fonctions leur permettaient de maîtriser les éléments naturels, et de prédire le cours des événements futurs. Ils s’exprimaient à travers des chants, des danses, ainsi leur parole est fortement poétique.

Le silatigui, siratigui ou sâtigui avait pour tâche de communiquer avec les pays et les peuples situés sur le parcours de migrations. L’un des premiers saltigui peuls le plus connu était le roi-pontife Koli Tenguella. C’était un grand maître religieux initié aux secrets pastoraux.

C’était lui qui décidait de la transhumance, des lieux de campements, de la guerre ou des alliances. En tant que « pasteur spirituel », il devint plus tard, chef temporel, chef du peuple, l’ardo, lors d’une sédentarisation.

Ainsi une fois le groupe installé, le chef spirituel devient chef temporel. Néanmoins  une fonction spécifique, héritière de la fonction  du saltigui se poursuit à travers le pouvoir de la parole, c’est-à-dire la poésie, le chant, les rituels fondant ainsi la pulaaku. Il est important de noter que l’ardo chez les peuls n’a pas la tâche de dominer un peuple, mais de lui donner une voie à perpétuer celle des traditions pastorales particulièrement.

La culture peule, un savoir entièrement axée sur la nature

L’identité culturelle apparaît quand les porteurs d’une culture entrent en interaction avec des personnes dont la culture est différente de la leur même de manière subtile. Elle privilégie la façon dont les porteurs de culture évaluent eux-mêmes leurs ressemblances et leurs différences, tant entre eux que par rapport aux autres.

La solitude de l’existence du pasteur peul dans la brousse, le mettait en contact permanent avec la nature, ce qui explique la clairvoyance de son apprentissage. Il ne faut pas aller chercher au-delà de la nature ce qui a pu inspirer les peuls dans la construction de leur tradition.

Le pulaaku est une tradition qui a permis aux populations pastorales peules d’affirmer leur singularité au sein des populations africaines islamisées ou non. Cette tradition et ses rituels, conserve sa force opératoire, même quand elle se heurte à des préceptes religieux venant d’ailleurs.

La société pastorale peule est détentrice de l’un des patrimoines culturels les plus importants du continent africain, elle trouve dans le mythe, une source et un modèle inépuisable de valeurs: Le mythe reste la référence comme démarche philosophique. Loin de rester au plan strictement intellectuel et spirituel, le mythe contrôle et régénère la vie quotidienne et matérielle, ainsi que la vie politique.

Ainsi donc, à travers  la tradition pastorale d’avant la pénétration arabe et occidentale, mythes, contes, légendes, épopées, proverbes, véhiculaient un savoir qui fixe les manières de vivre et de penser.

Communauté et identité ethnique  des pasteurs peuls

Avec le développement des états-nations, plusieurs groupes humains différents les uns des autres de par leur langue, leur culture, ont été placés sous la tutelle d’un état. Dans la majorité des cas, l’institution de l’état est géré par des personnes appartenant à un seul groupe culturellement et (ou) linguistiquement dominant. On voit ainsi apparaitre la notion d’ethnie pour expliquer cette organisation.

La notion d’ethnie, dérivée des grecs ethnos (signifiant race, peuple) désigne en fait un groupement humain qui se réclame d’une même origine, possède un nom et une tradition culturelle commune. Ses membres ont conscience de partager une langue, une religion, un territoire et une histoire identiques. Les pasteurs peuls entre bien dans la définition du groupe ethnique selon les critères de l’étymologie grecque. Les pasteurs peuls partagent un sentiment d’appartenance commune, une croyance en une même origine, et disposent d’organisations unificatrices.

Contrairement au groupe ethnique, la catégorie ethnique héritée de la colonisation a défini les populations humaines comme de simple agrégat d’individus placés dans des conditions communes ou perçues comme similaires.

La langue n’est pas un vecteur d’identité culturelle mais ethnique

L’identité ethnique diffère conceptuellement de l’identité culturelle. Lorsqu’il s’agit d’attribuer une ethnicité spécifique à un groupe particulier d’individus, certaines théories ont quelquefois recours à certains traits culturels sensés symboliser le groupe ethnique concerné. C’est le cas de la langue.

L’identité d’une communauté à travers sa langue repose sur plusieurs notions, dont celle de filiation. La notion de filiation dit que les membres d’une communauté linguistique sont héritiers d’une filiation qu’ils reçoivent du passé.

Il est clair que la langue est nécessaire à la constitution d’une identité collective, qu’elle garantit la cohésion sociale d’une communauté, qu’elle en constitue le ciment. Elle contribue à l’intégration sociale.

Il est également clair qu’elle crée une solidarité avec le passé. Il n’empêche que le rapport de la langue à l’identité est complexe, car il ne s’agit pas seulement de la langue mais aussi de son usage.

Malgré des idées tenaces concernant le rôle que peut jouer une langue par rapport à l’identité d’une communauté sociale, l’identité linguistique ne doit pas être confondue avec l’identité culturelle.

Cela veut dire que ce n’est pas la langue qui témoigne des spécificités culturelles, mais le discours. Pour le dire autrement, ce ne sont ni les mots dans leur morphologie ni les règles de syntaxe qui sont porteurs de culturel. Ce sont les manières de parler de chaque communauté, les façons d’employer les mots, les manières de raisonner, de raconter, d’argumenter.

Dans le cas de la langue peule, il s’agit du mythe et de l’épopée qui contribuent au fondement de la pulaaku. Ce n’est donc pas la langue qui contribue au génie des peuls mais les idées et les histoires qu’elle raconte et sa manière de le faire qui est unique. Exemple : avec la langue peule tu peux acheter des tomates, ce n’est pas de la culture. Mais si tu racontes l’histoire des ancêtres ou le savoir pastoral, il s’agit de culture.

Modernité et avenir du pastoralisme

Le pastoralisme est essentiellement développé par le groupe ethnique peul. Les Peuls sont spécialisés dans l’élevage des bovins. Ils se déplacent sans cesse avec leurs troupeaux à la recherche de pâturages, d’eau et de cures salées. Elle est une expression de la culture peule. C’est un marqueur de l’identité peule.

La stratégie a changé, car de plus en plus, les éleveurs se sont sédentarisés mais la pratique de mobilité d’une partie du bétail se poursuit par les adultes et les jeunes enfants, l’autre partie du troupeau restant au campement. On observe de plus en plus, une utilisation de main d’œuvre salariée dans la garde des bovins car il existe un désintérêt de jeunes pasteurs peuls pour la tâche de berger pasteur.

Le désintérêt porté par les enfants des éleveurs est un signe annonciateur d’un abandon de la mobilité par la jeune génération. En matière de tradition, les « anciens » jouent un rôle fondamental. Il se trouve que dans la plupart des pays des zones arides, les jeunes de moins de trente ans constituent une grosse majorité de la population.

En dehors du fait qu’à moyen terme, toute dynamique sociale repose en grande partie sur ces classes jeunes, on peut s’interroger sur l’efficience de la transmission de la culture pastorale, au fil des générations. Il y aurait là à lutter contre la disparition du patrimoine culturel pastoral.

Mondialisation et culture des pasteurs peuls

La colonisation, en Afrique noire, a brisé, l’ordre symbolique, c’est-à-dire l’ensemble des valeurs qui détermine la pensée et la pratique des hommes, le « référentiel » qui enchante leur vie en lui donnant un sens

L’école coloniale, a eu pour tâche de renforcer chez le colonisé le caractère négatif de son être et de sa culture et, ce faisant, d’en accepter la destruction et la transformation au profit d’un nouvel homme destiné à renforcer la civilisation occidentale.

Elle contraint les hommes à rompre avec les fondements et les valeurs de leur existence. Dorénavant, cette dernière doit s’articuler sur la civilisation occidentale pour prendre forme et sens.

Le processus de désagrégation des sociétés, comme la société peule, conduit à la destruction de la rationalité présidant à leur existence. Plus que tout, il brise l’identité de la communauté, rend à jamais impossible la restauration de cette dernière.

La destruction transformatrice des communautés a abouti à l’émergence de nouvelles sociétés humaines, dans chaque État colonial. Ces communautés vont devenir ce qu’elles sont de nos jours, avec les indépendances, les sociétés africaines.

Les sociétés nouvelles n’entretiennent plus avec les anciennes que des relations de refus, la dénaturation, la destruction, voire l’oubli des phénomènes culturels, sociaux et politiques.

Si, malgré l’abîme entre les mondes, comme le monde peul et le monde africain, penser, pour moi, aujourd’hui, c’est encore penser l’Afrique dans le monde qu’expriment les récits peuls, c’est parce que, avec Cheick Amidou Kane

Je ne suis pas un pays des Diallobé distinct, face à un occident distinct … je suis devenu les deux il n’y a pas une tête lucide entre deux termes d’un choix. Il y a une nature étrange, en détresse de n’être pas deux.