Marginalisation de l’élevage

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MARGINALISATION DE L’ELEVAGE PASTORAL

Les facteurs de la marginalisation des pasteurs nomades peuls

Au Sénégal, les autorités coloniales avaient délimité dans les années 1950 un espace à vocation sylvopastorale mais l’objectif était d’une part de réaliser des infrastructures pour sédentariser les pasteurs et d’autre part de transformer leur système d’élevage extensif en un système intensif.

Cette idée fixe constitue le fil conducteur des politiques de développement de l’élevage perçu sous sa forme pastorale comme moins rentable que l’agriculture pluviale ou irriguée. Ces représentations ont grandement contribué à marginaliser l’élevage pastoral.

Construction de la marginalisation

L’espace sylvopastoral déjà marginalisé à l’époque précoloniale ne s’est pas atténuée à l’époque coloniale ni après les indépendances en 1960. Certains facteurs peuvent expliquer cette situation.

Il s’agit de l’hégémonie de l’agriculture, des choix politiques liés à l’organisation du territoire sénégalais après l’indépendance et des faibles densités démographiques.

L’espace sylvopastoral dans les royaumes précoloniaux

Les migrations des pasteurs peuls vers le Sénégal ont été causés par les dislocations des empires du Ghana du Mali et du Djolof.

Les premières migrations s’effectuèrent au  IXe et le XVe siècle dans le Tekrour qui offrait un environnement attrayant à cette époque marquée par un processus de désertification.

L’islamisation du Tekrour par les Almoravides à partir du XIe siècle, qui coïncide avec le déclin de l’empire du Ghana, entraina le recul des pasteurs vers le sud.

Pour échapper à l’islamisation et aux razzias, les pasteurs se dirigèrent vers le Ferlo. Entre le XIIIe siècle et le XIVe siècle, ces vagues migratoires étaient devenues plus intenses sous le règne des rois mandingues de l’empire du Mali.

A cette époque, les petites principautés wolofs, mandingues (Tekrour) et sérères acceptèrent la suzeraineté du roi du Djolof. Le Djolof était donc devenu un « îlot » wolof au milieu d’un espace parcouru par des peuls.

Ceux-ci auraient quitté la vallée du fleuve Sénégal pour s’installer dans le Djolof. La coexistence est pacifique entre peuls et wolofs. Le Ferlo est un arrière-pays vide qui faisait partie des provinces éloignés de du royaume Djolof.

Installation des pasteurs peuls

Les waalwaalbe, les Jeerinkoobe et les Fula ont respectivement choisi de s’installer lors de leur arrivée au Sénégal dans l’ancien royaume du Djolof et en Haute Casamance.

Cette situation permettait aux pasteurs de faire pâturer leurs troupeaux en dehors de toutes pressions et à l’abri des razzias.

Le Tekrour devenait entre le XVIe et le XVIIIe siècle la première expérience politique peule de grande envergure voire, la première hégémonie peule du Sénégal.

Il était appelé Fouta Tooro et a été fondé par Koli Tenguella, un peul originaire du Mali. C’est la dynastie des deeniyankoobe.

Leur empire s’étendait de part et d’autre du fleuve Sénégal. Seule la partie occidentale de l’ancien royaume du Djolof échappait à leur emprise. Cette dynastie des deeniyankoobe est remplacée avant la fin du XIXe siècle par les almami qui sont des chefs religieux musulmans.

Ces derniers menaient des actions de conversion à l’islam principalement dans le Fouta qui correspond actuellement à la moyenne vallée du fleuve Sénégal.

Pour éviter cette islamisation, des groupements peuls restés païens abandonnèrent leurs terres. Ils se retiraient dans le Djolof et le Ferlo pour y reprendre leur existence pastorale. Cette marginalisation se poursuit avec un ensemble de mesures qui remet en cause le pastoralisme.

Marginalisation des peuls à l’époque actuelle

Au cours des dernières décennies, les relations entre sociétés d’éleveurs et d’agriculteurs, précédemment marquées par un certain équilibre, se distinguent désormais par l’accroissement des tensions et de la concurrence sur l’espace.

Un peu partout, les observateurs font état de l’augmentation des surfaces cultivées en lieu et place des anciens pâturages, des conflits liés aux dégâts causés aux cultures par les troupeaux et tranchés quasi systématiquement en faveur des cultivateurs.

Par ailleurs, la répétition des sécheresses et l’accentuation des modes d’exploitation de type minier ont mis en exergue les faits de dégradation des ressources et des écosystèmes, compromettant gravement les perspectives d’avenir.

Un long processus de marginalisation

Le XXe siècle, plus spécialement depuis les années 50, peut être considéré comme celui de l’affaiblissement progressif des économies et des sociétés pastorales.

Quatre types de contraintes externes se sont cumulés dans cette même direction : l’Etat, la pression des agriculteurs, les sécheresses et l’évolution du marché.

L’état instaura l’impôt en argent, lequel induisit le développement des rapports monétaires et marchands au détriment des échanges fondés sur le troc.

Au niveau juridique, il considéra les zones de pâturages comme « des terres vacantes et sans maître » dont il pouvait disposer comme bon lui semblait.

Au plan économique, il donna la priorité à deux secteurs d’activité qui allaient puissamment contribuer à l’accroissement des effectifs du bétail mais aussi rendre d’autant plus fragile l’état des parcours :

  • la lutte contre les épizooties qui opéraient de temps à autre de véritables ravages dans les troupeaux,
  • l’hydraulique pastorale avec création des points d’eau.

La viande, de bovin surtout, fut désormais avantagée au détriment d’une économie de subsistance axée jusque-là prioritairement sur le lait.

Une marginalisation qui se poursuit

Avec les Etats indépendants qui prirent le relais en 1960, l’évolution amorcée précédemment s’accéléra. Le primat très net accordé à l’agriculture favorisa le grignotage des terres pastorales.

La croissance démographique, qui a vu un doublement des populations du Sahel en moins de vingt-cinq ans, augmente nécessairement les besoins alimentaires.

Cependant, l’accroissement des productions céréalières est dû plus à l’extension des surfaces cultivées, au détriment des anciens parcours, qu’à l’intensification.

Au Mali les anciennes bourgoutières, riches pâturages aquatiques liés au système de crue et de décrue du fleuve, ont été peu à peu transformées en rizières.

Dans les zones les plus densément cultivées, les aires de pâturages ont connu également une très forte réduction et même, dans les situations de saturation, leur quasi-disparition, les résidus de récolte palliant tant bien que mal l’absence ou la raréfaction des pâturages naturels.

Nombre d’anciens pasteurs se sont mis eux aussi à cultiver et parfois à se sédentariser, tout en continuant souvent à pratiquer la transhumance.

C’est le cas de nombreux Peul, du Sénégal au Nord-Cameroun, depuis longtemps déjà. C’est le cas ailleurs de nombreux anciens nomades appauvris sur des terres de plus en plus marginales.

Les nouveaux éleveurs

La pression des tiers sur les zones pastorales n’est pas seulement culturale, elle est aussi animale.

Les agriculteurs ont réussi en quelques décennies à placer leurs économies dans la constitution de troupeaux, à tel point qu’ils détiennent désormais l’essentiel du cheptel national dans nombre de pays sahéliens

Ils confient souvent une partie de leurs effectifs à des bergers transhumants. Ceux-ci sont contraints, par l’extension des cultures de contre-saison, de retarder le retour dans le terroir d’origine et donc de prolonger le séjour dans les zones pastorales devenues des aires de délestage et d’attente pour les zones agricoles.

Il en est de même pour les « nouveaux éleveurs », d’origine commerçante ou fonctionnaire, qui placent leur argent dans la constitution de gros. En les confiant la gestion des terroirs à des bergers, en zone pastorale, il leur est plus aisé de disperser leur richesse.

Il est important ici de noter que cet élevage extensif diffère sensiblement de celui des éleveurs traditionnels.

Moins attachés à un terroir, ayant la possibilité d’imposer leurs choix, profitant de l’accès à des ressources devenues publiques, ces grands propriétaires posent souvent de gros problèmes aux pasteurs en place, obligés de se rabattre sur les aires les moins propices.

Leur mobilité réduite et le faible intérêt des bergers salariés à s’occuper au mieux de ces gros troupeaux entraînent généralement des phénomènes de surpâturage et de dégradation des ressources naturelles.

Sécheresses récurrente et migration des éleveurs

Le fait que les dernières grandes sécheresses aient pénalisé beaucoup plus les pasteurs que les agriculteurs semblent nouveaux dans l’histoire du Sahel.

L’espace pastoral s’est considérablement rétréci et dégradé, les éleveurs ont moins de possibilités de recours alors que les agriculteurs sont en mesure de se réserver, pour leur usage exclusif, les sous-produits de culture (fanes, tiges…) en même temps que les portions les plus fertiles des terroirs.

Les sécheresses ne sont donc pas la principale cause de la détérioration des systèmes pastoraux. Elles en sont seulement un facteur aggravant en même temps que révélateur.

La longue série d’années sèches a aussi occasionné une nouvelle répartition spatiale du cheptel. Celui-ci a opéré une très nette descente vers les zones agricoles et vers des terres nouvelles après éradication de la mouche tsé-tsé ou encore de l’onchocercose.

La zone sahélienne a perdu peu à peu de son importance en élevage au profit d’aires plus méridionales.

Un accès aux marchés pénalisant

Un véritable transfert de propriété s’est opéré, pénalisant les pasteurs des zones nordiques et centrales du Sahel obligés de vendre à vil prix et favorisant l’appropriation de leurs animaux par les agriculteurs et les citadins dotés de numéraire.

Seuls les groupes ayant pu rejoindre à temps les zones libérées des glossines et de l’onchocercose ont pu mieux résister jusqu’à présent, moyennant cependant un déplacement prononcé vers le sud.

Ce vaste transfert n’a pu s’opérer que parce que les termes de l’échange ont été globalement plus favorables aux produits agricoles et aussi aux diverses marchandises de première nécessité indispensables aux pasteurs.

Au fur et à mesure  la productivité numérique et laitière de leurs animaux diminuait en raison des problèmes d’ordre alimentaire liés à l’état des pâturages.

Leur appauvrissement et marginalisation se poursuivent d’ailleurs avec la chute vertigineuse des prix sur les marchés du Nord. La crise des pays côtiers a entraîné un véritable marasme parmi les anciens fournisseurs.

La demande pour l’exportation est désormais très faible et les prix ont considérablement chuté.

L’Afrique est ainsi devenue un marché de dégagement des stocks européens, pénalisant surtout les éleveurs du Sahel.

Après avoir servi de tremplin à l’expansion de l’élevage à l’échelle de toute la région ces derniers sont désormais condamnés à se satisfaire d’une demande essentiellement locale.

Et encore, le marché des principales villes leur est lui-même fermé à cause du développement récent de l’élevage péri-urbain qui suffit de plus en plus à répondre aux besoins des citadins.

Pastoralisation des agriculteurs

Si le mouvement de pastoralisation des agriculteurs continue à se vérifier, celui inverse conduisant les pasteurs à cultiver ne peut être mené à bout. En effet, l’agriculture, au sein de certaines zones s’avère peu viable du fait des conditions agro-écologiques.

Des surfaces importantes, là où les ressources restent des plus aléatoires, ne sont exploitables jusqu’à présent qu’à travers l’élevage extensif, avec des éleveurs disposant de réels savoir-faire tels que les nomades encore en activité.

S’ils ne jouent plus comme avant le rôle de partenaires commerciaux, ils continuent néanmoins à être les seuls à pouvoir faire vivre les zones à grande contraintes climatiques et les plus reculées à l’échelle régionale quand ce n’est pas à celle, plus locale, des terroirs.

En bref, on assiste à un véritable processus historique de marginalisation politique, marginalisation démographique, marginalisation économique et spatiale de ces sociétés.

Si certaines se sont transformées en se dotant d’une base agricole plus ou moins assurée, d’autres donnent l’impression d’accepter la fatalité et se sont réfugiées dans le système des migrations-fuites à propos des Wodaabe du Niger et telles qu’on peut encore les vérifier chez les M’Bororo du Nord Cameroun.

D’autres comme les Touareg, ont fait parler d’elles par le crépitement des armes, l’insécurité et l’exode massif traduisant une situation de mécontentement extrême.

Une difficulté certaine à appréhender les logiques pastorales

Les observateurs et intervenants extérieurs depuis la période coloniale semblent avoir toujours eu du mal à comprendre la rationalité des pratiques spatiales des populations mobiles.

Leur origine sédentaire, agricole ou urbaine, les empêcherait-elle de voir des spécificités qui ne relèvent pas de leur culture ou de leur inconscient collectif ?

Plusieurs absurdités successives peuvent être recensées attestant de cette incompréhension. Notamment celle consistant à voir ces nomades sur le mode de la simple errance à la recherche de pâturages et d’eau.

Incompréhension du pastoralisme

Aucune logique sinon l’instinct de survie ne présiderait à ces déplacements considérés comme relevant du simple caprice.

Or, la réalité est tout autre et les études ont pu montrer que tous les groupes pastoraux ont cherché à établir des circuits réguliers entre zones complémentaires (par exemple les pâturages de saison sèche et ceux de saison des pluies).

Ou bien encore ils organisent des itinéraires de transhumance à partir de véritables « terroirs d’attache ».

Des administrateurs de la fin de la période coloniale ont cherché à établir des conventions d’utilisation des terres ou même, ont tracé une limite nord des cultures d’ouest en est.

La première datant de 1954 a dû être remplacée très vite par une nouvelle en 1961, laquelle s’est avérée dans les faits totalement inefficace.

Car elle n’a pas empêché le front de colonisation agricole de monter toujours plus au nord notamment à la suite des sécheresses et de la promotion systématique des cultures pluviales ou de contre-saison dans les bas-fonds.

Dans les zones anciennement occupées par les éleveurs pasteurs, les populations s’attendaient à une reconnaissance de leurs droits fondés sur un faisceau de critères tels que l’ancienneté, la permanence et l’investissement travail.

L’ensemble contribuait selon eux à humaniser un terroir et à le « faire vivre ; la lutte contre les feux, les bêtes sauvages, la protection des arbres, la réalisation de puits, etc., sont autant de manières de marquer l’espace, au même titre que de faire des champs ou de construire des maisons.