LES GRANDS PASTEURS NOMADES ARDUBE
Cet article m’est personnellement dédié en tant que Diallo, consciente de la grandeur de mes ancêtres et des qualités qu’ils m’ont transmis.
Les « scythes » d’Afrique : être Scythe c’est toujours une affaire d’identité.
Pour Hérodote, un auteur grec antique, les Scythes sont bien nomades mais ils ne sont pas les seuls nomades et plusieurs autres peuples connaissent ce genre de vie. Un certain nombre de tribus perses sont nomades certaines peuplades indiennes sont nomades, plus au nord les Massagètes le sont aussi.
Au sud, on rencontre les Libyens nomades qui circulent sur un vaste territoire, enfin sont mentionnés une fois des éthiopiens nomades. Tous ces peuples ont pour point commun, d’ignorer les labours les semailles et de ne pas vivre dans des maisons.
LE MAASINA DES PASTEURS NOMADES ARDUBE PEULS
Le terme Maasina (ou Macina) a d’abord désigné une des unités composant la fédération de chefferies s’organisant autour des princes peuls dits Arbe (sing. : ardo ) entre le 15è et le 19è siècle.
Il a désigné ensuite une province militaire de l’Empire de la Diina fondé par Sékou Amadou au 19e siècle. Par extension, il a aussi désigné l’aire de domination de cet Empire, puis l’Empire lui-même.
Enfin, au sens le plus large, il désigne le Delta central du Niger au Mali.
L’INSTALLATION DES ARISTOCRATES ARDUBE
On est mal renseigné sur l’arrivée des premières vagues de pasteurs nomades ardubé. Les pasteurs nomades ardube n’étaient pas islamisés lorsqu’ils arrivèrent dans le Delta, une épopée peule recueillie chez les Dialloubé se fait l’écho de cette époque : Silimaka et poullori.
La migration peule se fit par vagues successives, avec des effectifs réduits. Le groupe de nomadisme, ouro (p. guré) est conduit par l’ardo (pl. ardubé), guide pastoral et responsable de tous.
Du Sénégal au Delta intérieur du Niger, la brousse sahélienne est pauvre ; les pâturages et les mares s’assèchent vite. Les nomades arduBé sahéliens ont fui cette pauvreté pour aboutir au delta central du Niger avec de l’herbe et de l’eau à profusion.
La grande tribu des Dialloubé, sous l’autorité de l’Ardo Maghan-Diallo atteignit le Delta au 14e, précédée semble-t-il dès la fin du 13e par les tribus Warbé et Ouroubé.
La majorité des Peuls du Delta appartiennent aux Dialloubé et leurs chefs traditionnels prétendent tous à ascendance généalogique de l’Ardo Maghan Diallo. Des vagues ultérieures vinrent renforcer les Dialloubé déjà installés.
L’organisation sociale peule tend au fractionnement progressif. Les tribus se divisent en petites fractions et les dernières venues préfèrent s’éloigner.
Ainsi le Delta intérieur fut à la fois un pôle d’attraction pour les vagues venant de l’ouest et le pôle de la diaspora,et pour les groupes dispersés depuis le Fouta-Djalon jusqu’au Nigéria.
Qu’est-ce que le delta intérieur et son écosystème ? Définition géographique
Le delta intérieur du Niger, encore connu sous les noms de delta central et de cuvette lacustre – un des traits spécifiques de l’hydrographie du Mali -, est situé en zone sahélienne semi-aride.
C’est une vaste zone inondable d’environ 40 000 km2 qui s’étire selon un axe sud-ouest/nord-est de Ké-Macina à Tombouctou sur plus de 350 km. Il est parcouru par un réseau très dense et hiérarchisé de défluents alimentés par le fleuve Niger et par son confluent, le Bani, qui le rejoint à Mopti.
La morphologie du delta intérieur du Niger comporte plusieurs régions hydrographiques.
Le delta amont qui s’étend de Ké-Macina sur le Niger et Douna sur le Bani au sud (entrée du delta), jusqu’à Akka, Awoye et Korientzé. Il s’étend sur environ 30 000 km2.
Sa partie extrême sud s’étend de Ké-Macina et de Douna jusqu’à Mopti, cette région est appelée la Mésopotamie, elle couvre près de 10 000 km2.
L’importance du delta intérieur se marque par une forte concentration du bétail qui tient à l’exceptionnelle productivité de ses pâturages inondés.
Les plus riches d’entre eux, les bourgoutières, ont une productivité quinze à vingt fois celle d’un bon pâturage sahélien. À cet égard, le delta intérieur du Niger apparaît donc comme un espace unique en Afrique de l’Ouest.
Dans ce pays devenu le Macina, les divers groupes peuls demeurent unis dans une fédération tribale autour de l’Ouro Ardo, c’est-à-dire le lignage aîné des descendants de l’Ardo Maghan Diallo.
Avec la dispersion progressive des tribus, des groupes issus du Macina se répandent à travers le Delta. Parmi eux les Dialloubé-Bourgou, pionniers de la pénétration peule.
Les divers guré Dialloubé sont arrivés ainsi à grignoter la plus grande partie du Delta intérieur, réduisant les autres tribus à de petites parts.
Les Peuls de l’époque des nomades ardubé sont des groupes farouches et aristocratiques, indisciplinés.
Les chefs du Macina sont au 17e siècle en lutte larvée avec les Pacha de Tombouctou, refusent toute allégeance et ce n’est pas leur soumission théorique à l’autorité bambara, qui va discipliner leur conduite.
Hégémonie des musulmans avec le marabout Cheikou Ahmadou
Au début du XIXe siècle (1818), sous l’impulsion d’un souverain peul, Cheikou Ahmadou, les aristocrates nomades ardube furent contraints à la sédentarisation au cours d’un épisode historique connu sous le nom de « Diina ».
La Diina réglementait la vie des hommes du delta intérieur selon un code très strict de dépendance au profit du groupe peul musulman politiquement et militairement dominant, les autres groupes devenant des assujettis.
Elle créait également une organisation originale de l’espace, divisé en territoires agro-pastoraux, les leyde, dotés d’un code foncier pastoral très strict.
Cette organisation survit encore de nos jours et constitue la trame foncière de l’espace pastoral.
Le souverain musulman entreprend le démantèlement des organisations politiques et pastorales traditionnelles peules des arduBe.
Destruction et fin du royaume traditionnel des Dialloubé par la Diina
Les nomades ardube sont éliminés un à un au profit des nouveaux venus.
L’Ardo du Macina, battu dès l’ouverture de la Diina, est remplacé par le cousin du souverain pour lequel on crée une résidence, l’actuel Ténenkou où les notables de toutes les familles peules du Macina durent se fixer.
L’Ardo de Samaye est exécuté, ses pâturages et la surveillance de la région sont confiés à un groupe maraboutique, l’Ouro-Modi.
L’Ardo du Sébéra ne garde qu’une chefferie limitée à sa résidence de Soye.
Si le Dioro-Yallabé est converti et intégré, le Dioro Ouroubé est révoqué et son groupe fixé d’autorité à Sindégué.
Des fractions peules trop réduites pour être tenues en main sont regroupées et mises sous l’autorité d’un fidèle : c’est le cas de l’Ouro-Diafarabé et de l’Ouro-Kofogou de Djenné.
Ainsi organisé et administré le Delta intérieur devint pour les Peuls musulmans le Leydi-Macina pour lequel le souverain fonde une capitale.
Le Delta intérieur du Niger de nos jours
Toutes les populations de cette région ont été islamisées et sédentarisées par les différents empires qui se sont succédé (Bambara, Songhai etc). Les peuls n’étaient pas les seuls à répandre l’islam.
Le delta intérieur du Niger se trouve de nos jours confronté au problème de la pérennisation des ressources naturelles renouvelables et à celui de la conservation de la biodiversité.
Dans un contexte pluviométrique longtemps déficitaire, les transformations écologiques et socio-économiques remettent en cause la gestion traditionnelle du milieu naturel.
Fondée sur une répartition de systèmes d’exploitation pastorale, agricole et halieutique qui correspondent aux principales ressources naturelles du delta, l’herbe, la terre et le poisson, la gestion pratiquée ne s’adapte pas aux nouvelles donnes environnementales.
Il s’ensuit une compétition importante pour l’accès aux ressources, génératrice de conflits.
S’impose donc la nécessité de concevoir une gestion viable à long terme pour l’ensemble des ressources renouvelables qui soit axée sur la conservation de la biodiversité.
Cette perspective afin d’aboutir à une coexistence pacifique entre les différents systèmes d’exploitation et d’éviter notamment l’extension agricole sur l’espace pastoral.
Il s’avère nécessaire de sécuriser les rapports des différents types d’exploitants au milieu, dans le but de circonscrire leur contrôle sur l’espace et leur accès aux ressources.
Il s’agit de responsabiliser les usagers du milieu au moyen d’un régime juridique qui soit à la fois légitimé par les populations et légalisé par l’État, et qui permette de dégager des modes de conservation des ressources et de la biodiversité.
Le delta intérieur du Niger et l’accaparement des terres
On assiste en 2009 à une vague de concessions foncières à grande échelle, qui atteint son apogée en mai 2010 et qui touche tout particulièrement le delta intérieur du Niger.
Comme de nombreux autres pays désireux d’attirer des investisseurs, le Mali fait valoir le fait que de vastes surfaces officiellement « vacantes et sans maître » sont disponibles.
Les surfaces sont considérables, avoisinant les 400 000 hectares [2012]. Les perspectives d’extension dépassent désormais très largement les objectifs de départ et devraient atteindre 1,9 million d’hectares, dont 900 000 à investir en priorité.
Ces chiffres doivent cependant être considérés avec réserve dans la mesure où les données diffèrent sensiblement d’une source à l’autre. D’autres chercheurs avancent le chiffre de 770 000 hectares attribués en mai 2010.
Ces concessions s’étendent sur des zones peuplées et exploitées par les populations locales. De nombreux villages se voient confisquer une grande partie de leurs terres.