Pratiques coutumières des peuls

jeunes du sahel

PRATIQUES COUTUMIÈRES : IDENTITÉ, POUVOIR ET RESSOURCES

La présence effective de l’État sur la totalité du territoire malien est souvent mise en cause afin d’expliquer la persistance des conflits au Mali et la capacité des groupes armés non-étatiques à s’y implanter.

Il est donc important de s’interroger sur la définition même de l’État pour le Mali – et d’identifier la manifestation de sa présence au niveau local.

En effet, l’État malien n’est pas une entité uniforme et statique. Ses différents services s’appliquent à se déployer dans des zones difficilement accessibles de sorte que la couverture du territoire national par ses différents services (éducation, santé, sécurité, justice…) n’est pas assurée.

Les réformes entamées par le gouvernement malien dans les années 1990, notamment la décentralisation, mais aussi la réforme du code foncier ou les tentatives de révisions constitutionnelles, ont renforcé les pratiques coutumières locales en les intégrant dans l’appareil d’Etat.

Ce qui a eu pour effet de diminuer la légitimité des recours des populations qui contestent ces pratiques coutumières.

Le Mali a choisi de fonctionner sur un système hybride de gouvernance tout en réaffirmant la primauté de l’État et des prérogatives, il a également fait le choix de sous-traiter à des autorités traditionnelles et locales la gestion des affaires courantes.

DIVERSITÉ ET UNITÉ DES PEULS : PRATIQUES COUTUMIERES

Rappel : les chefs peuls, correspondent à trois archétypes :

Le jooro, jowro, dioro (sg.), jowro’en (pl.) : guide, responsable est le maître des pâturages d’un leydi. Il fait respecter la discipline d’accès des troupeaux aux pâturages du delta.

Le jowro prélève aussi un droit d’entrée sur les troupeaux qui ne relèvent pas du leydi mais qui viennent paître sur les pâturages de décrue.

Le Ardo (sg.), Arbe, Ardube (pl.) : chef aristocrate (équivalent de l’amazigh chez les touaregs) d’un groupe peul ont joué un rôle historique dans les migrations des pasteurs peuls vers le delta intérieur du Niger, puis dans l’occupation de cette région du XVe siècle au début du XIXe siècle).

Le laamiDo, enfin, chef régional qui regroupe sous son autorité les précédentes catégories. Il a formé des Etats peuls à l’occasion du jihad ou soulèvement réformateur religieux.

Histoire de la Diina et les leydi : pratiques coutumières

Les Peuls sont arrivés dans le delta intérieur du Niger en plusieurs vagues de migration.

Les chefs arduBe Diallo-Dicko lorsqu’ils découvrirent cet immense pâturage sahélien composé de vastes prairies où abondaient l’eau et l’herbe, notamment le burgu, nécessaires à leurs troupeaux, décidèrent d’y nomadiser en attirant d’autres groupes de nomades.

Le delta fut découpé en provinces pastorales, appelées leyde (sing : leydi), ce qui signifie terre ou territoire en fulfulde.

Les leydi furent mises en place par les arduBe qui se sont réparti les pâturages de l’espace deltaïque.

Au XIXe siècle, la Diina, empire théocratique peul mususlman qui n’a duré que quarante-quatre ans, de 1818 à 1862, avec Seku Amadu a imposé la sédentarisation aux arduBe nomades en organisant la transhumance qui les conduit en hivernage hors du delta tandis que les éleveurs conservent leur résidence dans le delta avec quelques vaches.

L’institutionnalisation des leyde par la Dina aurait été réalisée dans la perspective de la sédentarisation et se serait faite par rapport aux points d’eau.

Au fil des réformes foncières, le pouvoir de ces élites a été confirmé par l’État, notamment en 1981, qui leur a conféré un rôle officiel venu s’ajouter à leur légitimité traditionnelle.

Sans nier l’importance du religieux, il est importance de saisir le contexte économique et politique dans lequel évoluent la majorité des communautés peules de la région.

L’élevage est essentiellement assuré par les communautés peules. Celles-ci sont, pour certaines, originaires des plaines inondables du Delta même (qu’on appellera autochtones).

D’autres communautés peules sont extérieures au Delta (allochtones), venues de régions plus arides pour y faire paître leurs troupeaux en période sèche, et ne pouvant pas revendiquer un droit de propriété sur ces terres.

La gestion de troupeau de grande valeur, et leur accès aux plaines inondables du Delta, représentent donc un enjeu politique majeur.

Règles et rapport de force autour de l’élevage

Des règles établies depuis le début du XIXe siècle organisent en partie les deux principales activités économiques du Mali, l’agriculture et l’élevage.

Ni la défaite en 1862 de la Diina aux mains des Fuutankoobe d’Al Hâjj Umar Taal (Peuls, venus de la vallée du fleuve Sénégal), ni la colonisation française, n’ont véritablement transformé l’ensemble de ces règles.

Lorsque le Mali devint indépendant en 1960, l’État tenta d’effacer cette organisation pour s’approprier la totalité de l’espace deltaïque (en domaine public naturel et en domaine privé), mais sans lui trouver un système de remplacement effectif.

En 1981 « la conférence régionale des bourgoutières a réhabilité la fonction de jowro.

Dans les années 90 ont été adoptées la Loi sur les collectivités territoriales (1996) et la Charte pastorale en République du Mali (2001),  qui visent à « clarifier une situation qui s’est complexifiée avec le chevauchement du droit moderne et des pratiques coutumières.

De nos jours, certains acteurs politiques de la Région de Mopti voudraient faire des jowro les partenaires des collectivités décentralisées et percevoir une partie des bénéfices liés à l’exploitation des bourgoutières.

Depuis quelques années, le jowro est devenu un interlocuteur privilégié des administrations en ce qui concerne la gestion de l’activité pastorale

Toutefois, les termes de la relation ont évolué, et semblent avoir aggravé les relations entre Peuls autochtones et allochtones.

Cette détérioration des relations entre jowro’en et les clans peuls allochtones pourrait en partie expliquer pourquoi la présence de djihadistes dans la région a pu être instrumentalisée afin de changer le rapport de force.

Il n’est pas impossible que des jeunes issus de lignages peuls libres mais subalternes (notamment allochtones au Delta), ou de groupes non-libres, ont été enclin à rejoindre ces groupes armés.

Le discours égalitariste du djihadisme renforce chez les combattants la conviction que la cause permet de s’affranchir des barrières socioculturelles et d’acquérir une légitimité.

Comment expliquer cette aggravation des rapports

Gestion hybride de l’état et conséquences

La gestion hybride (étatique et traditionnelle) des ressources cherche à associer les différentes légitimités de gouvernance au Mali.

En renforçant le pouvoir des élites des pratiques coutumières et en instituant un mode de gestion de ces ressources encadré par le droit moderne, la négociation liée aux ressources naturelles devient plus difficile pour les groupes ne faisant pas partie de cette élite dirigeante.

Les discours sur les identités autochtones/allochtones se développent alors pour se réclamer d’un lien au terroir qui puisse conférer des droits politiques dans la gouvernance locale.

Les Peuls allochtones au Macina, originaires du Seeno, du Nampalari, du Hayré, y compris s’ils sont nés dans le Macina, sont considérés comme des étrangers.

Ce statut d’allochtone suppose que les Peuls de cette communauté doivent toujours, en dépit de leur implantation dans la communauté, payer des droits d’usage pour accéder aux ressources pastorales comme les bourgoutières.

Pour ces allochtones pourtant installés de longue date, la gestion traditionnelle des ressources (et donc du pouvoir), qui se superpose au droit étatique foncier et à la décentralisation, est source de marginalisation, ce qui explique qu’ils aient cherché à contester une gouvernance locale jugée discriminatoire.

Cette gestion exclusive des rapports de force et de la gouvernance locale, privilégiant les « autochtones », est utilisée par les groupes armés, en l’occurrence djihadistes, pour mobiliser les exclus de la communauté et les inviter à rejoindre leurs rangs afin de lutter contre ce qu’ils perçoivent comme une injustice.