Éleveurs pasteurs & théories

éleveurs pasteurs et théories

Théories anciennes sur les éleveurs pasteurs

Il existe des spécialistes du développement qui considèrent que tous les systèmes de production axés sur la subsistance sont dépassés et doivent être totalement remplacés.

Ce type d’attitude a été encouragé par les travaux des anthropologues qui, par le passé, tendaient à surestimer le caractère et l’individualité du mode de vie des éleveurs pasteurs. Ces travaux exagéraient l’importance du nomadisme par rapport à d’autres mécanismes d’utilisation de l’espace pour l’élevage du bétail.

Le discours de ces anthropologues se focalisait sur la force des liens sentimentaux unissant les éleveurs pasteurs et leurs animaux, leur volonté de réussir en constituant de grands troupeaux. Du fait de cette exagération, on a pu utiliser leurs travaux pour démontrer que les éleveurs pasteurs étaient incapables de s’adapter au changement.

De nos jours, les anthropologues soulignent la rationalité des systèmes locaux de production de bétail et des liens existant entre les organisations d’éleveurs pasteurs locaux et les systèmes plus larges au niveau régional, national et même international. (Pastoralisme du Monde)

Plutôt que d’y voir un engagement religieux irrationnel, il faut plutôt considérer la  culture pastorale comme un ensemble de conceptions symboliques et idéologiques sur les systèmes économiques, politiques et écologiques que mettent rationnellement en application les éleveurs pasteurs du Sahel.

Sédentarisation des éleveurs pasteurs

Des études ont montré que la sédentarisation des nomades ou des semi-nomades est susceptible d’accroître la détérioration de l’environnement, de diminuer la productivité pastorale, d’enlever aux producteurs des ressources vitales à des moments ou en des lieux déterminés et, de manière générale, de bouleverser radicalement les systèmes pastoraux.

Dans ces mêmes études on a noté que les éleveurs pasteurs se sédentarisent de leur propre gré lorsque cela leur parait souhaitable ou approprié ou lorsque les ressources ou les techniques le permettent, rien ne vient justifier du point de vue technique des programmes de sédentarisation soudains ou forcés.

La production pastorale fait généralement et normalement partie de systèmes de production élargis; toute modification de l’un des éléments entraîne des répercussions sur l’ensemble.

II est possible que les pasteurs fassent par ailleurs de la culture ou de l’artisanat ou vendent d’une manière ou d’une autre leur force de travail et, dans chaque cas, ils entretiennent des liens avec le reste de la communauté.

Droit foncier pastoral

Dans de nombreux cas, les pasteurs nomades ont des droits historiques sur les terres qu’ils parcourent et, dans d’autres cas, des liens contractuels, des accords d’utilisation en temps partage ou des aléas de l’histoire récente leur confèrent un droit d’accès aux pâturages.

Trop souvent, on a considéré que ces droits étaient ambigus ou négligeables, jugeant que les pasteurs n’avaient au mieux que des droits d’occupation ou d’usufruit sur le sol.

Au contraire, l’article 11 de la Convention 107 du Bureau international du travail, dont la plupart des pays sont membres, dit qu’il convient de reconnaître les droits de propriété, collectifs ou individuels, des membres des populations concernées sur les terres qu’elles occupent traditionnellement.

Pastoralisme et boucherie urbaine

Le marché de la viande ne rend pas justice aux besoins du secteur pastoral. On ne doit pas considérer la demande de viande (urbaine) comme le principal critère justifiant une intervention au niveau du secteur de l’élevage pastoral.

Ce qui revient à privilégier la rentabilisation de la production, à faire passer la boucherie avant la production laitière et les animaux de trait et à préférer la production de bœuf à une combinaison équilibrée d’élevages divers.

C’est une opposition directe aux intérêts de la population pastorale. Ce sont les gens qui dépendent de l’élevage qui doivent être la principale préoccupation et non les nécessités de l’alimentation en viande (des résidents urbains).

Dans de nombreuses régions pastorales, les quantités de viande écoulées sur le marché sont d’ores et déjà proches du maximum qu’il est possible de prélever sans compromettre la reproduction des troupeaux.

Pastoralisme et développement

Le développement chez les éleveurs pasteurs a été discuté de deux manières différentes, avec une perspective fondée sur les ressources et une perspective fondée sur les gens.

Perspective “fondée sur les ressources”

Dans la perspective “fondée sur les ressources” les ressources pastorales constituent des ressources nationales qui doivent être développées en fonction des différentes possibilités d’investissement qui s’offrent et de l’utilité qu’on leur prête.

Au niveau des interventions, c’est moins le développement que le changement que l’on s’efforce d’instaurer. Les techniciens qui opèrent dans le domaine du développement se qualifient souvent eux-mêmes d’agents du changement. Ils font peu de distinctions entre la notion de développement et celle de changement, et peut-être même les considèrent en fait comme étant identiques.

Les anthropologues, sont frappes de voir que les composantes fondamentales de cette façon de procéder : incorporation, bureaucratie, contrôle et spécialisation, constituent l’antithèse des exigences d’une économie et d’une société nomade et pastorale.

Perspective “axée sur les gens”

II s’agit généralement du développement qui, sous l’angle de l’anthropologie (de la culture, de la géographie, du milieu rural, de la sociologie, etc.), s’adresse à un “peuple” unique, aux sous-ensembles d’une population ayant une langue et une culture communes ou à une mini-région au sein de la géographie sociale et physique d’un ensemble.

Les besoins de développement traduisent une ensemble de problèmes caractérisant   ces peuples.

Ces problèmes : diminution de la réserve alimentaire, possibilités insuffisantes au niveau de la santé ou de l’éducation, déprédations ou privations croissantes, suppression de droits acquis en matière d’utilisation des ressources, catastrophes naturelles périodiques ou inégalité des chances par rapport à ce qui existe ailleurs, sont des éléments clairement politiques autant qu’économiques.

Le développement, selon cette optique, consiste à résoudre !es problèmes qu’éprouvent les gens et à leur permettre de réaliser leurs propres objectifs plus rapidement et avec moins de contraintes qu’ils n’en ont éprouvées jusqu’alors (ou récemment).

D’ailleurs, on ne considère pas que toutes les contraintes peuvent être évitées ; certaines ne peuvent être allégées qu’en produisant des effets négatifs sur d’autres points du système local.

Le système de pâturage nomade du bétail ne permet pas d’introduire de meilleures méthodes d’élevage mais, à l’heure actuelle, c’est la seule façon d’utiliser la terre dans la région du Sahel qui puisse être pratiquée à grande échelle.

Les pertes dues à la sécheresse augmenteraient considérablement si l’on abandonnait le nomadisme pour adopter un élevage sédentaire.

TESTAMENT D’EDMOND BERNUS

Le nomade représente un type d’homme qui a su exploiter un milieu aride particulièrement hostile : il y est parvenu par une connaissance admirable du milieu lui permettant de prendre des décisions en fonction de circonstances changeantes. On a vanté, à juste titre, son sens de l‘orientation, lié à un regard aigu, à une observation permanente, à des sens toujours en éveil.

La vie nomade est aussi une somme de connaissances accumulées sur les ressources naturelles, végétales, minérales ou animales ; c’est encore des rapports anciens avec des animaux, connus, aimés, choisis, sélectionnés, nommés, marqués dont on connaît souvent la généalogie. La perte des troupeaux, ce n’est pas seulement la perte d’un capital, c’est souvent la perte d’une identité.

Si le nomadisme pastoral est un certain rapport de l’homme avec ses troupeaux, c’est aussi et surtout la possibilité de choix : choix de ses partenaires, de ses parcours, de sa culture. Ces remises en cause, ces adaptations à des pressions nouvelles, cette possibilité de toujours jouer sur la mobilité sont un gage de survie.

Ces choix cependant sont de plus en plus limités et les nomades, aujourd’hui, engagent leur avenir et modifient leurs comportements sous l’emprise de contraintes de tout ordre.

C’est dans cette absence de choix que les nomades risquent de perdre leurs valeurs et leur génie et d’oublier dans l’anonymat d’un gardiennage mercenaire les techniques pastorales qui sont le fondement de leur civilisation.

Le nomadisme pastoral n’est pas coupé du reste du monde : il est lié aux zones rurales et urbaines, aux marchés et au commerce national et international ; il n’est pas viable dans la pauvreté et la famine. La passion pour les nomades ne peut plus se réduire à une fascination passéiste et passive.

Il faut chercher à comprendre comment les nomades peuvent eux-mêmes, dans un monde soumis à la loi du marché et ouvert à tous les courants, préserver et vivifier leur civilisation menacée.

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